Récit/Monod,Jean//Un riche cannibale - Monod,Jean

Un Riche cannibale, c’est une très belle histoire et qui est très représentative. Donc Jean était chez les Piaroas. Pour ceux qui l’ont connu, c’est un très bel homme, très séducteur. Il était là en train de sourire aux Indiens. Les Indiens l’avaient un peu relégué dans un coin. On était en 1968. Un jour arrive la lancha, le petit bateau d’un commerçant qui remonte les fleuves pour vendre diverses choses aux habitants des rives. Il apportait un colis pour Jean Monod, et dans ce colis il y avait Paris-Match, ainsi que des boîtes de corned-beef. À ce moment-là, les Indiens ont compris qui était vraiment Jean Monod puisque depuis qu’il était là, il passait son temps à leur montrer ses dents. Effectivement Jean leur souriait à belles dents. Mais si, pour lui l’idée était de les séduire, pour eux, cela ne faisait aucun doute : cet homme-là, qui passait son temps à leur montrer ses dents comme un carnassier, était à coup sûr un cannibale. Ils savaient que ce type voulait les bouffer. Ils en étaient sûrs puisque, dans les sociétés Piaroas, on se noircit les dents pour ne pas paraître agressif. De plus, quand on veut séduire l’autre, on ferme la bouche et on le flaire avec le nez. Oui, on séduit comme ça, en flairant et en faisant des offrandes de nourriture. Mais lui était là, croyant séduire tout le monde alors qu’en face, les Indiens se disaient : « mais ce mec est cannibale, c’est sûr que c'est un cannibale ». Et la preuve est arrivée avec la lancha.Quand Jean a ouvert le colis, il a sorti Paris-Match, dont la couverture représentait un flic qui tenait d'une main le col d’un étudiant ensanglanté et de l’autre une matraque, et des boîtes de corned-beef remplies de chair rose. Alors, ils ont compris et ils ont vraiment eu peur. Ils se sont dits : « celui-là, on le flèche avant qu’il nous bouffe ». La situation était devenue extrêmement tendue et il a été obligé de partir de chez ces Indiens. C’est à la suite de ce séjour qu’il a écrit ce livre magnifique, qui s’appelle Riche cannibale, dans lequel il raconte qu’il a failli se faire flécher et qu’il a été obligé de déguerpir à cause de ce malentendu profond. »